2à juillet 2010

Révélations : les passe-droits sur la Loi littoral

A la une de L'Humanité aujourd’hui : les riches squatters des sentiers côtiers
Notre envoyée spéciale Flora Beillouin décrit la main basse de quatre familles sur le sentier côtier de Fouesnant (Finistère) et Patrick Apel-Muller consacre son éditorial au "sentier des privilèges". A lire aussi, "Le naufrage corse de Jacques Séguéla" par Lionel Decottignies.

Pour écouter l’interview de RTL matin avec Patrick Apel-Muller sur ce sujet cliquez ici.



À Fouesnant, main basse sur le sentier côtier

Dans cette ville du Finistère, un chemin de deux kilomètres en bord de mer, accaparé par quatre riches propriétaires, est devenu l’emblème d’une lutte entre un collectif d’habitants et une préfecture sensible aux caprices des plus riches. Fouesnant (Finistère), envoyée spéciale.
« Lorsqu’on voit les Glénans, c’est qu’il va pleuvoir. Si on ne les voit pas, c’est qu’il pleut. » Même en colère, André Bernard ne perd pas le sens de l’humour. « Les plus anciens se rappellent avoir emprunté cette partie du sentier des douaniers, mais c’était il y a longtemps », explique ce colosse, propulsé au conseil municipal en 2008. « Avant que de riches propriétaires ne profitent de l’après-guerre pour s’installer et grignoter du terrain jusqu’à empiéter sur le domaine public maritime. » Aujourd’hui, le chemin continue de courir le long du littoral, mais s’interrompt brutalement devant le sémaphore, et ce jusqu’à la cale de Beg-Meil. « C’est le site le plus remarquable de la commune et de la côte bretonne », se rengorge André Bernard.
Il est vrai que les criques qui mènent au port sont plus agréables à l’œil qu’à la plante des pieds. Une fois le sentier dérobé à la vue par taillis et grillages, il ne reste qu’à sauter d’escaliers en rochers en esquivant les algues. Un chemin périlleux, praticable à marée basse. Car lorsque la mer monte, rejoindre Beg-Meil est impossible.
Marches « contre l’abolition des privilèges »
En 2007, en vue des municipales, André Bernard forme le collectif La gauche naturellement (LGN), bien déterminé à amener l’affaire du sentier côtier sur le terrain politique. « Le combat juridique mené depuis plus de vingt ans par l’Association de sauvegarde du pays fouesnantais (ASPF) pour reconquérir l’espace public ne faisait plus le poids face aux recours systématiques des propriétaires », explique-t-il.
Pétitions, marches « contre l’abolition des privilèges » : face à l’opiniâtreté du collectif LGN, mairie et préfecture décident de reprendre les choses en main. Après avoir confié une étude de faisabilité à un architecte-urbaniste, une enquête publique est ouverte, laissant le tracé à l’appréciation des habitants. Aux dires des détracteurs du projet, ces derniers se sont exprimés massivement jusqu’à la clôture de l’enquête mercredi dernier. N’ayant pas encore rendu ses conclusions, le commissaire enquêteur, à l’instar de la préfecture, n’a pas souhaité communiquer ses impressions. Il faut dire que le tracé proposé fait débat. Les plans prévoient d’étranges contorsions pour éviter les propriétés privées du littoral : escaliers, encorbellement, passage souterrain… « Des aménagements coûteux, nuisibles à l’environnement et surtout inutiles », s’étrangle Tristan Bourbigot, de l’ASPF. « Si les habitations sont situées à plus de 15 mètres de l’estran, la loi oblige les propriétaires à laisser passer un sentier de trois mètres de large sur leur terrain. Ici, elles sont à plus de 80 mètres ! »
Un jugement du conseil d’État de 2007
Légalement, rien ne justifie donc la modification de la servitude de passage octroyée par la préfecture et soutenue par la mairie. D’autant que, d’après les photos aériennes prises par Tristan Bourbigot, le sentier historique perdure, intact, de l’autre côté du grillage. Il suffirait de le rouvrir et d’ajouter un ou deux portails. Mais voilà, les familles qui viennent passer « quelques semaines par an » dans ces résidences secondaires portent des noms dignes d’amadouer l’administration : Lascar (textiles Burton et Devred), Bolloré (groupe Havas), Cabri-Wiltzer (immobilier) et Meyer-Taittinger (banques et hôtellerie, Club Med).
Roger Le Goff, maire UMP de Fouesnant, dément sèchement tout favoritisme, prétendant agir « dans l’intérêt des Fouesnantais, pour que ce projet aboutisse enfin dans de bonnes conditions ». « En leur faisant admirer la mer depuis un tunnel ? » raille André Bernard. « Si certains veulent en faire une affaire politique en analysant tout sous le prisme de l’argent, c’est leur problème », rétorque le maire. Lequel reconnaît que les propriétaires faisant obstacle à la servitude de passage sont prêts à financer eux-mêmes les travaux. Mais pourquoi diable deux propriétaires prendraient-ils seuls la charge de ces aménagements, si ces derniers étaient réellement « d’intérêt public » ?
À l’origine de ce contentieux, un jugement du Conseil d’État de 2007 ouvrait la voie à des négociations entre propriétaires et préfecture. Un arrêté contesté : « Le jugement se base sur le fait que la propriété est close de murs, alors que ces murs ont été abattus en 1972 », s’insurge Tristan Bourbigot. « À l’époque, le propriétaire avait refusé de laisser entrer les experts », ajoute André Bernard. Pour le maire, pourtant, le contournement reste indispensable : une pergola au ras de la falaise (réalisée sans permis de construire) a été rendue « habitable » chez l’un, deux cyprès bloquent le passage chez l’autre. Mal à l’aise, Roger Le Goff conteste jusqu’à la présence de l’ancien sentier des douaniers : « Des aménagements ont été faits depuis, il n’y a plus trace de ce chemin, je le sais, j’étais cette semaine encore dans l’une des propriétés. » Pour l’expertise ou pour l’apéritif ?
Flora Beillouin

Littoral. A qui profite la vue? Zoom sur un voisinage très sélect

Loin d’être anonymes, les quatre familles qui se partagent les terres reliant le sémaphore à la cale de Beg-Meil ont d’autres points communs que leur amour, privatif, du littoral breton. À commencer par le compte en banque : Robert Lascar, troisième fortune bretonne (80 millions d’euros), possède les enseignes Burton, Devred et Maxilivres. Son voisin immédiat n’est autre que l’industriel Vincent Bolloré, aussi hyperactif dans la vie médiatique nationale que dans ses plantations kényanes, 11e au classement des grandes fortunes françaises publié par Challenges. Guillaume Cabri-Wiltzer officie de son côté dans l’immobilier à Neuilly-sur-Seine, ville de naissance de son voisin Jean-Claude Meyer. Lui donne dans la banque (Rothschild) et a fait un beau mariage avec l’héritière Anne-Claire Taittinger, qui a lâché il y a peu champagne et cristal au profit de l’hôtellerie.
http://humanite.fr/19_07_2010-les-sinueuses-lois-du-littoral-450042
Les sinueuses lois du littoral
Plusieurs textes de loi sont censés protéger nos côtes. L’enjeu est double : préserver l’environnement et garantir l’accès à tous.
C onsidéré comme appartenant au patrimoine national, le domaine public maritime (DPM) définit légalement cette curieuse partie du territoire qui n’est ni vraiment la terre ni vraiment la mer. Des limites virtuelles qui sont autant de jalons permettant d’éviter les constructions et privatisations abusives. C’est en s’appuyant sur cette définition que le Code de l’urbanisme instaure, en 1976, l’obligation d’une servitude de passage. Renforcée par la loi littoral en 1986, cette mesure a pour vocation d’assurer le libre accès du public aux sentiers côtiers. Ces textes ne sont toutefois pas appliqués à la lettre, comme en témoigne la querelle qui oppose habitants et pouvoirs publics à Fouesnant-les-Glénan. La polémique concerne le sentier des douaniers, créé en 1791 pour lutter contre la contrebande et permettre de longer la côte du Mont-Saint-Michel jusqu’aux étendues marécageuses de la presqu’île de Guérande. Ce dernier n’aurait jamais dû être interrompu, et pourtant, à force de petites tolérances, tout un segment se retrouve aujourd’hui privatisé. Les habitants cherchent aujourd’hui à faire appliquer le Code de l’urbanisme pour le réhabiliter, en vertu du droit à la servitude de passage.
Voici ce que stipule l’article L160-6 du Code de l’urbanisme : « Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d’une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. » Seules exceptions, les propriétés closes de murs ou celles dont les habitations sont situées à moins de 15 mètres de l’estran. Ce qui n’est pas le cas de celles de Fouesnant.
F. B.

Comment garantir l'accès côtier à tous les citoyens ?

Dans la ville de Fouesnant (Finistère), un chemin de deux kilomètres en bord de mer, accaparé par quatre riches propriétaires, est devenu l'emblème d'une lutte entre un collectif d'habitants et une préfecture sensible aux caprices des plus riches.
« Les plus anciens se rappellent avoir emprunté cette partie du sentier des douaniers, mais c'était il y a longtemps. Avant que de riches propriétaires ne profitent de l'après-guerre pour s'installer et grignoter du terrain jusqu'à empiéter sur le domaine public maritime. » , s'insurge André Bernard, conseiller municipal depuis 2008.
Á qui profite la vue ? Qui sont ces privilégiés qui détournent la loi littorale ?
Un reportage de notre envoyée spéciale sur le sentier de la discorde, à découvrir dans votre quotidien.

Le sentier des privilèges

Ils sont « seigneurs de lieux dont j’ignore le compte », écrivait Victor Hugo. Sans doute les Taittinger et leurs voisins tiennent-ils un état plus précis de leurs propriétés que le menu peuple des congés payés qui empruntent les sentiers côtiers bretons. Ces riches familles connaissent les limites mais dépassent les bornes ! À Beg-Meil, dans le Finistère, c’est en s’emparant du domaine maritime public et en voulant imposer un passage souterrain aux passants des bords de mer, ou en limitant l’accès aux marées basses. S’ils pouvaient s’accaparer l’océan, ils le feraient. Les pouvoirs publics résisteront-ils comme la réglementation devrait le leur imposer ? La préfecture a fait le mort, refusant de nous répondre. Balzac relevait : « Les lois sont des toiles d’araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites… »
Ici un hippodrome picard ou des permis de construire arrangés, là un sentier côtier ou bien des micro-partis comme autant d’aspirateurs, ailleurs des capitaux qui s’évanouissent aux Seychelles ou en Suisse… Les bons comptes font visiblement les bons amis. L’amputation de la loi littorale ne faisait-elle pas partie de ce que la droite corse et certains nationalistes avaient négocié, avant les élections régionales, avec 
Nicolas Sarkozy qui souhaitait, dès le 
13 avril 2007, « l’assouplir pour ne pas entraver le développement normal des communes » ? Et le Point de rapporter comment le président « s’emporte en aparté contre “ceux qui, depuis le golfe de Saint-Tropez, s’inquiètent du bétonnage de la Corse” ».
Laissons cependant les sentiers d’Aros ou les chemins côtiers de Fouesnant pour suivre une autre voie, celle que le gouvernement veut emprunter pour financer la dépendance des seniors. Selon le rapport de la députée UMP Valérie Rosso-Debord, qu’a révélé hier le Monde, une taxe obligatoire serait appliquée à tous les adultes de plus de cinquante ans. Les sommes ainsi recueillies ne seraient pas destinées à un fonds public mais à des assurances privées, pour remplacer l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) que géraient les départements. Puisant dans les mauvaises idées du think tank social-libéral Terra Nova, elle propose d’augmenter le montant de la CSG sur les pensions jusqu’à un taux de 7,5 %. Faute de pouvoir livrer tout de suite les retraites à la capitalisation, c’est l’avenir des personnes âgées dépendantes qui est jeté en pâture aux marchés financiers. « Champagne ! » pour la Bourse, ainsi s’exclame-t-on chez les Taittinger. Quant au mot « rigueur », utilisé le week-end dernier au Japon par François Fillon, il s’avère inapproprié à la politique gouvernementale. Le mot « racket » lui va comme un gant. Pas une grande fortune ne sera en effet citée au guichet de la solidarité. Elles continueront de s’abriter derrière leur bouclier fiscal 
et dans des niches qui ont la taille de leurs palaces.
La réforme de la dépendance sort du même moule que celle des retraites, celui de l’injustice. Nicolas Sarkozy nous promettait un gouvernement d’action, un cabinet de combat. On sait contre qui.

Une poignée de grandes fortunes veulent capter un sentier côtier. Elles connaissent les limites de propriété mais dépassent les bornes !
Patrick Apel-Muller

le 5 Août 2010
Points chauds

Droit de réponse. À la suite de la parution de l’article « À Fouesnant, main basse sur le sentier côtier » dans notre numéro du 20 juillet 2010, nous avons reçu ce droit de réponse de Vincent Bolloré : « Au nom de ma famille et en mon nom personnel, je tiens à préciser que : 1. Ma famille est installée à Beg Meil, depuis plus d’un siècle où elle est dûment propriétaire d’une propriété en bord de mer, et n’a donc jamais occupé un chemin qui ne lui appartient pas, ni une quelconque parcelle du domaine public. 2. Par décision préfectorale, pendant cette période, le chemin passait juridiquement derrière cette propriété, et nous n’avons donc jamais été, ni ne sommes, en contravention avec la loi. 3. Cependant, j’ai toujours indiqué que le chemin de bord de mer était libre d’accès devant notre propriété, ce dont la mairie et la préfecture sont parfaitement informées. »